Dixit Tobie Nathan ce matin mardi 24 novembre sur France Culture avec son analyse de la terreur au Vietnam, à Berlin au début du nazisme et forcément de nos jours !
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« La terreur instrument politique et parfois aussi d’exercice du pouvoir que l’on peut appeler terrorisme. La terreur est un acte intellectuel qui résulte d’une pensée.
Analyse de la terreur des Khmers rouges à travers un ouvrage.
La terreur sert à faire croire ou rendre possible, que c’est une idée qui fabrique la société. J’ai eu l’idée de faire et donc je vais le faire. On essaie d’appliquer cette espèce de folie selon lesquelles les chefs pourraient imprimer leurs désirs à la société. C’est une position intellectuelle qui conduit toujours à cette espèce de folie qu’est la terreur généralisée.
Quand on sème la terreur dans une société, derrière il y a toujours un acte intellectuel, une pensée, une attention.
Second exemple, la prise de pouvoir de Goebbels sur Berlin. A la fin des années 20, Berlin était une des villes les plus vivantes, une ville extraordinaire. Cabarets et artistes, c’était le 11 ème arrondissement de Paris de l’époque. C’était une ville rouge, la majorité votait communiste et socialiste.
Hitler donna comme mission à Goebbels de s’emparer de la ville avec à peine 1000 personnes étaient de son avis à Berlin.
Il se demandait comment convaincre les gens de devenir nazi, par la terreur. C’est une vraie stratégie. Quand il y a des meetings communistes, il envoie des nervis nazis qui cherchent la bagarre et s’il y a des blessés c’est bien, s’il y a des morts c’est mieux.
La conséquence, les gens qui veulent assister à un meeting communiste vont réfléchir et se dire, c’est dangereux d’aller à un meeting communiste. C’est dangereux, j’y vais pas. Au fur et à mesure les gens commencent à déserter les lieux de rencontre (bars, cabarets, lieux de meetings…). Au début ils ont peur et au fur et à mesure, ils se rendent compte que ça peut arriver à n’importe qui n’importe où et par n’importe qui. Ils ne savent plus qui est leur voisin. Vous ne pouvez plus parler, vous dites mon voisin peut être membre du parti nazi. A partir de ce moment-là, vous vous taisez. Cette sensation d’être devenu une cible dont vous ne connaissez plus l’origine. Ce qui fait la terreur, c’est que vous avez été réduit à une position de quiconque. C’est un des éléments fondamental de la construction de la terreur. La terreur peut s’exercer librement. C’est ce qu’elle produit et c’est ça dont elle a besoin, des individus sans aucune attache. Cette quiconquisation et cette rupture de tous les attachements y compris traditionnels. La religion, la magie… les gens auxquels vous pouvez compter, c’est fini, les liens sociaux… C’est ça que recherche un gouvernement par la terreur. Il voudrait avoir que des individus qui redoutent les individus qui sont autour d’eux. Ca c’est l’intention. Elle est délibérée.
Goebbels en 4 ans à fait en sorte que Berlin vote nazi. C’est une stratégie efficace qui a été mise en œuvre de manière délibérée
Ils pensent nazi après. Dans un premier temps, ils pensaient communiste ce qui est l’inverse. A un moment donné, ils ne veulent plus aller dans les endroits de regroupement socialistes ou communistes. Ils commencent à se demander pourquoi j’y vais. Il faut qu’ils se mettent d’accord avec eux-mêmes. Pourquoi j’y vais pas, parce que je pense le contraire. Ils basculent, parce qu’on les a fait basculer physiquement. Et dans un second temps, ils commencent à penser comme les gens qui les en ont empêché de se rendre dans les meetings.
La terreur fabrique du mimétisme.
Tobie a très peur des évènements du Bataclan. Les gens au début se disent, même pas peur, on ne se laissera pas faire… Bien sûr qu’ils ont peur, qu’ils ont été terrorisés. La conséquence de la terreur, parfois c’est venir se coller à la personne qui vous a terrorisée Ca fabrique du mimétisme de l’agent de la terreur. Ce que je crains, moi, c’est qu’un tel évènement ne fabrique des adeptes. Que ce soit un évènement qui aura pour conséquence de recruter de nouveaux adeptes de ce genre d’actions terroristes.
Pour combattre la terreur, il faut de l’intelligence. Il faut raconter la terreur, l’intention, la stratégie. Il ne faut surtout pas dénigrer l’adversaire. Il ne faut pas dire, ce sont des idiots qui ont des attentions immédiates primitives archaïques, c’est faux. Ce sont des gens qui ont une stratégie délibérée. Ca fait de leur stratégie de terroriser les personnes. Donc, il faut mettre à plat cette stratégie et comme dans une partie d’échec il faut y répondre par une stratégie inverse, de l’intelligence. Il faut reconstituer la stratégie de l’adversaire et l’expliciter. C’est très difficile sous le coup de l’émotion. On a tendance à réagir de façon immédiate et non élaborée. C’est exactement le contraire qu’il faut faire. Il faut réagir par des pensées élaborées et intelligentes ».