Jenesaisplus a écrit :
Et devant ce paysage avez vous pensé à un précepte de Confucius ou à une citation de Teilhard de Chardin.....?
Que d'eau! Que d'eau!
Je pense avant tout à ces dernières communautés indiennes ashanincas encore vierges des contacts avec la civilisation. Ces familles loin des rivières navigables sont répertoriées mais refusent de s’intégrer culturellement et matériellement.
Les villages ashanincas et les clans qui y vivent portent presque tous le nom de la rivière sur les rives de laquelle ils sont installés.
La madone et l'enfant...toujours ensemble jusqu'à l'age de 2 ans.
Je pense à la mémoire de Mariano Gagnon, un père franciscain qui avait longtemps luté pour préserver ces communautés des adversités : colons, senderos, narcotraficants. Sa mission fut attaquée et brûlée…mais reconstruite au début des années 80.
A l’époque, la situation dans la région était devenue très préoccupante : colonisation à outrance par les paysans qui descendaient des Andes et volaient les terres des indiens encourageaient par le gouvernement, une forte présence du narcotrafic, et là-dessus voila que venait se greffer sérieusement la venue de groupes armés du sentier lumineux. Les menaces ont changé mais sont devenues de plus en plus précises, avec les projets de barrage, de tourisme…
Retour de pêche, la rivière nourricière
Des ONG se sont mobilisées avec des campagnes de photos pour sensibiliser l’opinion publique et forcer le gouvernement à mieux considérer le sort des indiens…et celui de la forêt. Pour le moment, grâce à Zenaida, la victoire est ashaninca.
La case, jamais loin de la rivière aux eaux des fois tumultueuses!
Devant cette silva, je pense aux 70 millions de natifs estimés à l’arrivée des conquistadores, il n’en restait guère plus que 4 millions un siècle et demi plus tard. L’illustration la plus flagrante de cette atrocité est ce qu’ont engendré les mines d’argent de Potosi en Bolivie, qui a elles seules ont englouti huit millions de vies humaines.
Ces chiffres les « camarades » du Sentiers lumineux s’en moquaient, mais ils en portaient les stigmates. Ils savaient. Ils avaient cette mémoire dans la peau, les senderos, et dans le sang.
Le calvaire des 65 millions d’ancêtres suppliciés s’était gravé dans leur chair. L’oppression n’avait jamais cessé.
Même si un libérateur avait chassé les colons, le pouvoir n’avait fait que changer de mains. Jamais depuis des siècles les morts n’avaient pu être vengés. Et depuis des siècles la Terre Mère, la Pachamama, réclamait son dû.
Les dix années de lutte à Lima et dans tout le pays, l’exécution de milliers de personnes, pour la plupart innocentes, n’avait pas suffi. La Pachamama et ses fils, les indiens Quechuas des montagnes andines, dans ces monts de la Vilcabamba, avaient encore soif de revanche. Ces hommes bafoués qui avaient rejoint les rangs des sendéros, commandés par des intellectuels marxistes qui exploitaient l’Histoire à leur profit, demandaient réparation.
Peuples de la forêt et autres innocents, paysans pauvres, étudiants idéalistes, peu importait, tous faisaient l’affaire pourvu que le sang abreuve la Terre Mère. Pourvu que l’indio des Andes relève la tête. Qu’il puisse tuer, étriper, anéantir comme jamais. Cette guérilla sanglante servait également d’autres intérêts. Le nettoyage des territoires amazoniens faisait l’affaire des narcotrafiquants, des voleurs de bois précieux et des prospecteurs de gaz.
Oui, comme en son temps Teilhard de Chardin, philosophe de la création, ou Kongzi rebaptisait par les jésuites Confusius, je pense à toute cette sagesse millénaire.
Qu’est-ce qu’elle représente aujourd’hui ? Dans une humanité où d’un coté, on standardise l’opinion, on détruit la vérité, on aseptise la pensée et où de l’autre, on incite à la haine et on laisse se perpétrer les forfaits les plus monstrueux, quelle place y a-t il encore pour une quelconque forme de sagesse confucéenne ?
Que l’humanité soit devenue folle, il n’y a aucun doute là dessus. Que le mal soit à l’œuvre en tous lieux, et surtout chez ses dominants qui veulent imposer aux autres leur vision du bien, encore moins. J’ai trop vécu, et suis trop las pour ne pas voir que la bataille est perdue. L’humanité est-elle en route vers un nouvel age des ténèbres ?
Mais néanmoins, je pense à cette sacrément belle vie.
On parle sans cesse de la violence de ce siècle, mais qu’est ce siècle en regard du précédent ? En 14 - 18? 18,6 millions de morts. En Espagne avec « Franco la Muerte »? 1 million. Hitler en 36 - 45? 25 millions. Staline? 20 millions. Mao? 70 millions. Pinochet ? Un tout petit. Pol Pot et les Kmers? 2 millions. Au Rwanda? 800000. Et la grippe espagnole qui ne sera pas détrônée par tous les coronavirus avec 50 à 100 millions de morts de l’Europe à la Chine de 1918 à 1919.
Je n’ignore rien des dangers dont ce siècle est avant-coureur, et en premier la destruction sans précédent de l’habitabilité de notre Terre, la déréglementation sans fin d’une économie devenue démente et la montée en réaction d’un nouvel obscurantisme démentant à la fois les vertus de la science et celle de la démocratie. On assiste à l’émergence de croyances pour tous dorénavant: ceux qui croient que la Terre est plate, que les Américains n’ont pas mis les pieds de l’humanité sur la Lune, qu’il existe un complot pour cacher la vérité sur les vaccins…il y en a pour tous les goûts. Internet y veille et y pourvoie. On n’a jamais vu autant de croyants. C’est juste les croyances qui ont changé.
Pendant ces trois mois dans la partie péruvienne de la forêt amazonienne, avec mes amis ashanincas, j’ai savouré un bonheur instantané, éternel, sans passé ni futur.
Pas de foi, pas de loi. Hormis la foi en l’existence elle-meme, et la loi de la survie. Ce qui inclut respect, partage et harmonie avec la grande foret. Le naturisme même !!!
Lø