Mon cas personnel, maintenant :
Quand j'étais en deuxième année, à l'université, je me suis inscrit à un cours de théâtre. Ou peut-être était-ce ma mère...
J'avais dix-huit ans et demi.
Les cours se déroulaient chaque vendredi, de vingt à vingt-trois heures.
C'était près du palais de justice de Strasbourg.
Le professeur ressemblait à Pedro Almodovar, si ce n'est qu'il portait une queue de cheval à la Karen Cheryl dans les années 1980.
Il était petit et bedonnant et parlait avec une voix très éffeminée (sauf quand il faisait du théâtre.Là, curieusement, sa voix se muait instantanément en une voix de baryton).
J'étais nul, en théâtre.
J'étais trop raide et je ne savais pas placer ma voix,
Certes, j'avais figuré dans un film, un téléfilm et quelques court-métrages.
J'avais aussi posé quelques fois pour un catalogue allemand où je présentais la mode pour les 14-16 ans alors que j'en avais 18-19.
Il n'empêche. En théâtre, j'étais une bille.
Chaque semaine, je me rendais à ce cours.
Ça me faisait une sortie.
Ironie du sort, à côté du palais de justice, il y avait une église avec plein de jeunes hommes qui attendaient je ne sais quoi.
Il m'a fallu six mois pour comprendre pourquoi je ne pouvais jamais traverser la route sans qu'une voiture me barre le passage.
Lors des cours, j'écoutais distraitement les conseils donnés à mes camarades, et lorsqu'on me demandait de mimer la terreur, l'émotion, la colère et que sais-je encore, c'était une catastrophe.
Philippe (le prof) n'en prenait pas ombrage.
Très vite, j'ai compris que je me faisais ouvertement draguer.
Tout le monde l'avait remarqué.
Il ne manquait jamais de me complimenter sur mes yeux. Un jour, il a posé la question à une autre élève du cours :
"Il a de beaux yeux, non?"
"Oui, je n'avais pas remarqué, mais c'est vrai"...
Bon an mal an, l'année s'est passée.
Vers la mi-mai, on a su que l'association qui gérait l'activité théâtrale était en cessation de paiement.
Tout le monde accusait le coup, sauf moi.
La fin de l'année approchait, et Philippe devenait de plus en plus lourdingue.
Mi juin, en pleine période d'examens, je m'y suis rendu une dernière fois.
Ce jour là, il n'y a pas eu de cours.
Personne n'avait la tête à ça.
Tout le monde est parti dans le centre de Strasbourg pour manger des tartes flambées.
On était répartis dans quatre ou cinq voitures.
A la demande de Philippe, j'ai pris place dans son véhicule.
Il y avait trois personnes à l'arrière.
Là, c'est devenu franchement désagréable.
On est passés devant les jeunes prostitués.
Il m'a demandé si "j'allais là".
J'ai répondu que oui, puisque c'était sur mon chemin.
Alors, il a pris les autres à témoins :
"Vous voyez, il assume !".
J'ai essayé de bredouilles quelque chose, mais avant d'avoir eu le temps d'en placer une, j'avais sa main sur la cuisse. J'ai enlevé la main.
On est arrivés à la brasserie, en plein Strasbourg,près des quais de l'Ill.
On s'est installés en terrasse.
Il s'est arrangé pour se placer en place de moi.
Il buvait beaucoup de bière, ce qui n'arrangeait rien.
Une camarade, placée à côté de moi m'a demandé si j'étais homosexuel.
J'ai boté en touche.
Elle a poursuivi en insinuant que je provoquais Philippe.
J'ai protesté. J'étais mort de honte.
Je voulais me lever, payer et rentrer chez moi à pieds, mais on m'a demandé de rester.
Un autre camarade, qui avait compris la situation m'a simplement dit "Reste. Tu t'en fous...".
On a fini par lever le camp.
Je voulais rentrer seul, mais là encore, il m'a rattrapé et s'est montré tellement insistant que je me suis de nouveau retrouvé dans sa voiture.
Comme par hazard, il s'est arrangé pour déposer les autres camarades qui avaient pris place à l'arrière avant de passer par chez moi.
On s'est retrouvés seuls tous les deux.
Arrivé devant mon immeuble i, j'ai voulu prendre congé.
On était vendredi (enfin non, plutôt samedi matin), et j'avais un dernier oral à passer le lundi.
Je n'avais même pas commencé à réviser et je misais sur un week-end studieux à grands renforts de Guronsans.
Il a voulu me suivre jusqu'à chez moi, prétextant qu'il avait soif et en même temps, il avait une furieuse envie d'uriner.
J'ai fini par cèder.
On est montés, il est allé pisser, et il est ressorti.
Mon évier était trop encombré pour que je lui serve un verre d'eau.
Je lui ai demandé s'il voulait du sirop de violette (c'est dégueulasse. J'essayais d'en fourguer à tous mes invités, mais personne n'en voulait).
Il a bien voulu le sirop.
Il s'est assis sur mon lit.
Je suis passé dans la salle de bain pour tirer de l'eau.
Quand je suis revenu, il avait enlevé son short et ses chaussures et se tripotait sur mon lit.
"Ben vas-y, mets toi à l'aise !"
"Tu me comprends, tu en meurs d'envie".
Là, il m'a dégoûté.
J'avais 19 ans et lui 37. Je le respectais pour son talent . Comment pouvait-il me faire ça ?
Je lui ai demandé de ranger ses instruments, de boire son verre et de partir, mais rien n'y a fait.
Même pas quand je lui ai dit que j'avais mon oral à passer deux jours plus tard.
Il s'est justifié par le fait qu'il était fin bourré et que je ne pouvais pas le laisser partir comme ça.
J'ai tenté de discuter.
De temps en temps, il se touchait le sexe et me disait " tu vois, je me masturbe. Ce n'est pas si compliqué..."
A un moment, il a glissé de mon lit et s'est retrouvé sur mon tapis.
Je me suis assis sur le lit et j'ai dû somnoler quelques minutes.
Quand j'ai retrouvé mes esprits, il avait mon mollet entre les mains.
Je me suis levé d'un bond.....
Il m'a une fois de plus parlé de ma prétendue "homosexualité flagrante", que "tout le monde avait remarquée". A un moment, il m'a dit que mon copain Hassan "n'en voulait qu'à mon cul"....
Ecoeurant.
Et ça a continué comme ça jusqu'à sept heures du matin.
Il a fini par accepter de partir. Il avait un peu désaoulé.
Je l'ai quand même accompagné jusqu'à son véhicule pour m'assurer qu'il allait bien mettre les bouts.
En partant, il m'a lancé un tonitruant "je t'aime" depuis sa voiture.
Je suis remonté chez moi. J'ai changé les draps et essayé de dormir au moins jusqu'à dix ou onze heures du matin.
Impossible. J'avais honte. Je me repassait sans cesse le film de ce qui venait de se passer.
J'ai fini par téléphoner à ma mère et je l'ai retenue au moins trois heures avant de lui avouer ce qui venait de m'arriver.
Elle était furieuse. J'ai quand même réussi à la dissuader de téléphoner pour insulter Philippe.
Après tout, je ne m'étais pas senti menacé physiquement, et rien ne s'était passé.
C'est ce jour là que j'ai appris pourquoi elle n'avait pas poursuivi sa carrière "artistique", elle qui avait participé à des concors de beauté et qui aimait tellement se mettre en valeur.. J'ai compris pourquoi elle s'est concentrée uniquement sur ses études ...
Après cette conversation, je me sentais un peu moins dégueulasse.
J'ai réussi à dormir quelques heures, et j'ai révisé mon oral, auquel j'ai eu une note moyenne, mais amplement suffisante.
Quant à ma carrière à la Alain Delon, elle s'est arrêtée là.
Quelque temps plus tard, j'ai vu sur France 3 Alsace qu'une pièce de théâtre mettant en vedette un camarade d'université avait été montée par Philippe.
Je me suis demandé si....Mais après tout, je m'en fiche.
Me too?
Même pas.
De toutes façons, si la parole s'est libérée pour les femmes, je ne m'imagine pas, en tant qu'homme,pousser la porte d'un commissariat pour me plaindre de faits qui ont eu lieu il y a plus de vingt ans.
Récemment, j'ai googlisé Philippe.
Il donne toujours des cours de théâtre sur Strasbourg,ressemble toujours à Almodovar, et s'intéresse de près à la politique, puisqu'il est l'attaché parlementaire d'un député alsacien.
Je n'aurais de toutes façons aucun intérêt à l'attaquer.
Je l'estime toujours pour son talent, et ses idées politiques sont certainement assez proches des miennes...
Bon.J'ai dit tout ce que j'avais à dire.
C'est à peu près aussi long qu'un épisode de Durandalem, la valeur littéraire en moins.
Il me reste trois heures pour dormir.