Posté le : 14/07/2022 22H41
Il y a à prendre et à laisser....
La dame qui tenait mon secrétariat a visiblement été victimes de harcèlement, voire plus, quand elle a commencé sa carrière (elle a été recrutée en 1981, dans un service où on porte l'uniforme, et qui devait, à l'époque, être très peu féminisé...Elle y est quand-même restée quinze ans.)
Elle avait atterri chez moi après avoir mis à plat un service entier en quelques clics.
Ils ont mis deux ans à s'en remettre.
On m'avait averti ("Je te préviens, c'est une folle!")
La dame en question est très introvertie (elle ressemble à Woody Allen, avec un petit quelque chose de l'inspecteur Gadget)
Ses yeux étonnamment fixes me gênaient parfois.
Elle était incapable de faire une photocopie et passait son temps à se lever pour aller tourner dans les couloirs en marmonant.
Le matin, quand on la saluait, la réponse était invariablement "Pas bonjour. Chuis pas du matin"
Elle n'enlevait jamais son imperméable, quelque soit la saison, et même en intérieur. Elle était la risée de ses collègues.
Je me servais d'elle comme témoin quand je recevais du monde.
J'avais réussi à établir une relation de confiance avec elle, et même si ses propos étaient décousus, ce que j'ai entendu est assez affreux .
Elle faisait régulièrement allusion aux brimades dont elle a été victime plus jeune.
En fait, ce qu'elle décrivait, c'était bien plus que des brimades.
Comme elle n'était plus capable de tenir une conversation, les allusions venaient par salves, sans rapport avec ce dont on était en train de discuter.
Elle avait aussi la fichue manie de répéter systématiquement les derniers mots de mes phrases quand je lui parlais.
Elle disait être soignée pour bipolarité, mais je pense qu'il n'y a pas que ça.
Depuis l'année dernière, elle est en congé longue durée, ce qui signifie qu'elle ne reprendra jamais le travail.
De toutes manières, elle a 64 ans.
Je suis toujours en contact avec elle et sa mère (94 ans).
Monique (j'ai changé le prénom) est maintenant incapable de s'habiller toute seule, se lave difficilement, et quand sa mère l'envoie faire les commissions, elle ne sait jamais quand elle reviendra.
Récemment, elle a rangé la viande qu'elle venait d'acheter dans le micro-ondes (elles ont cherché pendant deux jours avant de retrouver le paquet)
Le rapport avec "me too") ?
En fait, sa mère me dit qu'elle parle en dormant et qu'elle l'entend toute la nuit durant, décrire ce qu'elle a subi.
Elle cite des noms et des prénoms, mais il s'agit souvent de personnes qui sont décédées depuis, ou qu'il m'est impossible d'identifier.
La santé mentale de la dame était semble t-il normale à ses débuts . Elle a eu son bac sans redoubler et obtenu un DEUG de lettres modernes.
Elle a le permis de conduire....
J'ai vu une photo d'elle jeune. Elle est méconnaissable.
Avec sa mère, nous avons réussi à nous faire
recommander un neurologue (le psychiatre ne sert plus à grand chose) ,et on a pris rendez-vous pour octobre prochain...
Tout ceci ne rentre pas dans mes attributions, mais je ne me vois pas opposer une fin de non-recevoir à une dame de 94 ans qui ne sait pas ce qu'il adviendra de sa fille lorsqu'elle disparaîtra.
Je n'ai pas osé aborder frontalement le sujet avec ma hiérarchie.
Les faits sont trop anciens et je pense qu'on m'enverrait promener.
Et surtout, j'ignore si les agissements dont elle a été victime,s'ils sont avérés, sont à l'origine de la détérioration de son état de santé.
Bien plus, en parler maintenant que le mal est fait ne servirait plus à grand chose.
Les services ont évolué, et les horreurs qu'elle relate seraient inconcevables de nos jours.
J'ai l'impression que MeToo, c'est un peu comme les taxis.Il n'y en a jamais quand on veut. (Je cite une vieille chanson dont j'ai oublié l'auteur)
Et pour le coup, ce que j'ai entendu dépasse de loin la drague lourde.
Message edité le 15/07/2022 00H45