Posté le : 19/11/2009 12H32
[coucou] "Coraline et Pierre". (Episode 4)
Épisode 4
Un plan machiavélique vient de faire jour dans son esprit... perturbé!
Je suis génial!, se dit-il. Je vais non seulement écraser ma « chère fille », mais de plus, avec un peu de chance, je vais me faire une fortune malgré elle... Il me suffira juste d'être patient quelques années, c'est tout!
Il éclate alors d'un rire dément...
Trop d'argent peut rendre fou, paraît-il. A preuve...
Janvier 2000...
Mon garage tourne à plein régime...
J'ai du engager un second carrossier tant nous avons de travail.
J'ai eu une inquiétude quand, au milieu de l'année passée, la régie des routes a fermé, pendant quelques mois, la chaussée où mes ateliers sont situés pour procéder à son élargissement..., mais cela n'a eu aucune influence sur ma clientèle!
Me doutant que cette route nationale, droite et lisse comme un billard désormais, allait attirer pas mal de nouveaux automobilistes, j'en ai profité pour installer, sur la grande esplanade devant le garage, un poste à essence self-service.
Rendement plus que satisfaisant! J'envisage sérieusement d'ajouter une mini-supérette à ce poste...
Je sais, tout le monde le fait..., mais ici, c'est vraiment nécessaire: mis a part la supérette de Léon, sur la place de Pont, à trois kilomètres, il n'y a rien!
Dans la foulée, je me suis aussi doté d' un camion-plateau de dépannage, un gros Mercedes, acheté pour une croûte de pain sur une vente publique...
Cela sert toujours, un engin pareil!
Lundi cinq, alors que vaquons tous à nos habituelles occupations, retentit un:
-Nom de d... de nom de D... de nom de D...!, sonore.
Cette « fine » expression, pleine de poésie, provient en droite ligne de la carrosserie!
Appréhendant un drame -à tout le moins un accident-, je me dirige dare-dare, comme disent guêpes et abeilles, vers les lieux et y découvre Jean-Marc, un brave homme de quarante cinq ans environ, mon premier carrossier et ami, rouge comme un coq, en proie à une colère « noire »! (Remarquez: vous pouvez toujours changer la couleur si celle-ci ne vous plaît pas; nous en avons d'autres en stock!)
-Ce n'est pas possible!, fulmine-t' il. Regarde: j'ai commandé une portière droite pour la voiture de Monsieur Lambert... et ils m'en ont livrés une gauche, ces abrutis de chez ... Tûûût! Qu'est-ce que je vais faire, moi? La voiture est là, démontée... et je suis bloqué!
-Du calme, fais-je, conciliant. On n'a qu'à les appeler et ils vont réparer leur erreur, c'est tout!
-'Pas de quoi en faire un infar..., ajoutai-je, en souriant!
-Oui, tu as raison, me concède-t' il. Mais c'est toujours la même chose avec eux: tu leur commande une chose et on dirait qu'il éprouve un malin plaisir à t'en livrer le contraire! C'est pourtant une chaine d' accessoiristes automobiles réputée. 'Me demande bien comment ils ont bâtis leur réputation, ceux-là!
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Cela a l'air tout simple, comme cela, de faire changer une portière gauche en portière droite..., mais non! Mon fournisseur me dit qu'il n'a que celle-là de stock et que les nouvelles commandes n'arriveront qu'en février... si tout va bien!
Je dois bien comprendre qu'ils n'en peuvent rien, que ces pièces arrivent de Corée, que...
-Bref, le coupe-je, qu'est-ce qu'on fait? Que me proposez-vous?
-Moi, je ne peux pas dire à mon client que sa voiture est bloquée jusqu'en février... Ma réputation est en jeu... et la vôtre aussi!, ajoutai-je, perfide.
Il réfléchit un bref instant et me propose de me rappeler dans les cinq minutes... Le temps de vérifier une chose.
Les mimiques que m'adresse Jean-Marc assis à mon côté, me montre, si besoin était, combien il est sceptique sur l'éventualité d'un rappel quelconque!
Il a tort! Cinq minutes ne se sont pas encore complètement écoulées que j'ai mon fournisseur en ligne:
-J'ai peut-être une solution! J'ai trouvé une autre portière, du côté qui vous intéresse, mais...
-Mais?
-... elle se trouve à Braine-l'Alleud, dans une de nos succursales, à une centaine de kilomètres de chez vous. Je peux la faire chercher par un coursier et vous la faire livrer demain, en fin d'après-midi, si vous voulez...
-En fin d'après-midi?
Jean-Marc frôle l'apoplexie...
-Je ne peux pas attendre si longtemps, gémit-il. Tout mon atelier est bloqué! Si j'avais eu la bonne portière, je serai occupé à la peindre, pour le moment. La voiture aurait été terminée demain matin...
-Bon! Je la prends! Donnez-moi l'adresse: je vais aller la chercher moi-même...
J'ai beau avoir fait un grand bond dans l'échelle sociale depuis quelques années, je n'ai rien changé à ma vie. Je ne sors toujours pas, habite toujours chez mes parents et roule toujours avec ma ...vénérable Renault 5 TS, rouge. Elle frôle les vingt-trois ans, n'est plus très fringante, mais pour le peu de déplacement que j'ai à effectuer... elle fait parfaitement l'affaire!
Je prend note de l'adresse, 28, rue de l' Essor, à côté du garage Lebeau, à Braine-l'Alleud, et me met en route immédiatement.
Les nonante-quatre kilomètres qui me séparent de Braine sont vite avalés: elle « tricote » encore, ma vieille Titine.
Ah, voilà! Le garage Lebeau... et le magasin d'accessoires. C'est ici!
Au moment où je vais me garer, ma fidèle 5 décide qu'elle a terminé sa part de travail! Elle a un hoquet, toutes les lumières du tableau de bord s'allument et le moteur s'arrête. Un peu de fumée blanche s'échappe de l'avant et je n'ai même pas besoin de soulever le capot pour comprendre que mon joint de culasse -et, par la même occasion, le « moulin »- vient de rendre l'âme!
La situation, qui pourtant ne s'y prête pas, me fait sourire quand même:
En panne! Moi, le patron des ateliers Pierre. Je suis en panne, avec ma propre voiture et à cent kilomètres de chez moi, en plus! C'est un comble!
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Je sors de mon auto qui n'est, pour le moins, plus mobile et m'apprête à la pousser le long du trottoir, quand un ouvrier du garage, qui m'observait depuis la piste de la pompe à essence, s'approche de moi:
-Un problème, Monsieur?, demande-t' il.
Je m'apprête, sans même le regarder, à lui répondre que non, que tout va très bien, Madame la Marquise, que très souvent, quand je viens dans le quartier, je m'amuse à pousser ma voiture pour en économiser le carburant... quand quelque chose, dans le ton de sa voix, me semble familier.
Je me retourne et le dévisage, les yeux ronds, muet de surprise: devant moi se tient Cédric, mon vieux copain Cédric!
En voyant mon air ahuri, celui-ci s'exclame:
-Cela ne va pas, Monsieur?, inquiet.
-Cédric! Tu ne me reconnais pas?
En le disant, je pense in-petto:
Comment le pourrait-il? Je porte barbe, moustache et cheveux longs; moi qui était imberbe et coiffé comme G.I. Tout le monde, à Pont, même ma mère ne m'appelle plus autrement que « Le viking »... et le body-building, que je pratique deux fois par semaines, m'a sculpté des muscles de bonne facture. (Sans pour autant me faire ressembler à un Arnold Schwarzenegger.) Oui, comment pourrait-il me reconnaitre, six ans après son départ de Pont?
-On se connait?, dit-il, faisant visiblement un effort de mémoire pour me situer.
-Ah oui! Cela: on se connait! Réfléchit bien... T'avais pas un copain, autrefois, qui roulait dans la même Renault?
-Pierre?, balbutie-t' il. C'est pas vrai! Pierre! Pierre Delcampe!
Et nous tombons mutuellement dans les bras l'un et l'autre.
-Qu'est-ce que t'as changé! Je me rappelle que tu ne voulais, en aucune façon, entendre parler de cheveux longs... On dirait...
-Un viking, je sais! C'est comme cela qu'ils m'appellent tous à Pont, maintenant...
-Qu'est-ce que tu fais ici? T'es perdu?, me demande-t' il.
Je lui raconte l'histoire des portières inversées, la raison de ma présence ici.
Tout en parlant, j'ai sorti mon gsm de sa pochette -et oui, j'ai bien dû succomber à la mode du « g », moi aussi- et formé le numéro de mon garage.
-Oui, la dépanneuse! Tu me l'envoies fissa ici, à Braine, rue de l' Essor.
Quoi, qui va la conduire? Je ne sais pas, moi! Demande à Jean-Marc, sans sa portière, il ne peut quand même rien faire... Autant que je le paie à venir me chercher, dis-je à Anne-Marie, la nouvelle secrétaire que j'ai embauché il y a quelques jours.
-Tu..., tu fais venir une dépanneuse de Pont?, dit Cédric, en me regardant comme si j'étais devenu fou, subitement.
-Tu sais, mon patron, Monsieur Lebeau, peut te faire un bon prix pour la réparation. Cela te coûterait certainement moins cher que de faire venir une assistance depuis ton bled, continue-t' il, en riant.
-T'inquiète! Mon garagiste à moi, 'y peut rien me refuser! D'ailleurs, je ne paierai pas ce dépannage... Pas plus que je ne paierai la réparation, non plus!
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Et je voudrai bien voir que le patron me dise quelque chose, tiens!
Cédric me regarde fixement.
Cette fois, cela y est! Il a pété un plomb, semblent dire ses yeux.
-Et tu sais pourquoi le patron ne dira rien et ne me fera rien payer?, lui demandai-je, le plus sérieusement du monde.
-.........?
-Parce-que le patron..., c'est moi!
-Toi? Tu rigoles, non? Tu es patron!? Mais de quel garage?
-Allons, tu souviens quand même qu'il n'y en a qu'un, à Pont-du-Roy...
-Ne me dit pas que...?
-Si, mon vieux! Grandjean, c'est moi depuis 2 ans déjà!
Nous discutons depuis une bonne demi-heure quand je lui fais remarquer, en riant, qu'il ne doit certainement être pas être payé pour discuter avec un inconnu, sur le trottoir...
Que moi, à la place de son patron, je serai déjà venu le récupérer par le fond de sa salopette pour le ramener à l' atelier...
-Oh, tu sais..., me dit Cédric, ce pauvre Monsieur Lebeau en serait bien incapable...
Depuis qu'une voiture est tombée du pont au moment sur son dos...il a de plus en plus de mal à se déplacer!
-...Mais tu as raison, poursuit-il. Je vais aller continuer. Viens, je vais te le présenter. Tu ne vas pas rester deux heures planté sur un trottoir, à attendre ta dépanneuse!
-Il sera content de te connaître... et vous pourrez parler « boutique »... entre patrons, ajoute-t' il, avec une petite pointe d'envie dans la voix.
Me souvenant ce pourquoi je suis à Braine-l' Alleud, je lui assure que j'arrive de suite: je vais d'abord chercher ma portière.
-Attends, je vais t'aider!
Une fois la portière casée de ce qu'il faut bien appeler « l'épave » de ma 5, nous nous dirigeons vers le garage. En marchant, par pure curiosité professionnelle, j' observe un peu mieux le bâtiment . Je devrai plutôt dire: les bâtiments!
Situés à l'angle d'une petite voie carrossable qui donne accès, pour la gauche, au terrain derrière le garage -terrain qui me semble recevoir tous les vieux fers et vieilles voitures avant leur évacuation pour la fonderie- et pour la droite, à un hangar abandonné, ils sont posés sur un terrain dont j'évalue la longueur, à front de rue, à une cinquantaine de mètres et la profondeur au double.
Il y a l'atelier de réparations proprement dit, qui me semble de bonnes dimensions et, accolé à sa gauche, une maison d'habitation; une villa moderne, toute de « plein-pied », en briques jaunes vernies. Enfin, à l'extrême gauche, il y a encore un vaste terrain gazonné, ouvert du côté façade et fermé par un mur blanc à l'arrière. Une clôture grillagée, recouverte de bambou, sépare la propriété de l'accessoiriste automobile voisin.
Devant l'ensemble, côté rue principale, une vaste esplanade goudronnée et trois double pompes à essence...
Le tout ressemble a un garage campagnard que l'on aurait déplacé d'un bloc en ville... quoique l'on ne puisse qualifier, de part ses dimensions, Braine-l'Alleud de ville!
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...Même si le fameux « Lion de Waterloo », par un caprice de l'histoire se trouve sur cette commune!
Suivant Cédric, j'entre dans les locaux par la grande porte de l'atelier. Effectivement, c'est assez grand, dix mètres sur trente, environs. A gauche, dans un local vitré, un homme est assis à un bureau:
-Monsieur Lebeau, je vous présente Pierre, un ami d'enfance, garagiste lui aussi!
C'est lui qui vient de tomber en panne juste devant, dit Cédric, en désignant la rue d'un coup de menton.
-Antoine Lebeau, enchanté, répond l'homme, en se levant péniblement.
Cédric, les présentations faites, retourne à ses occupations. Très vite, un courant de sympathie passe entre-nous et nous adoptons un tutoiement de bon ton.
Quarante minutes plus tard, ce sont deux presque amis qui se racontent leurs petits et gros soucis de métiers, les problèmes récurrents d' approvisionnement en pièces détachées, les mille et une anecdotes des clients...
-Dommage que tout s'arrête pour moi, dit à un moment Antoine. Dans deux mois, c'est fini! J'ai fait ce que j'ai pu, mais je n'en peux plus! Mon dos me fait trop souffrir... Je jette l'éponge...
-Tu... arrêtes?
-La mort dans l'âme, crois-moi! Je me fais surtout du soucis pour les trois gars que j'emploie... Que vont-ils devenir? Je n'ai même pas encore osé le leur dire... Si j'avais pu trouver quelqu'un pour reprendre...
Mais personne! J'ai mis quelques annonces à droite et à gauche... Rien! Aucune réponse! C'est d'autant plus malheureux que j'avais eu des contacts avec Aixam, le constructeur des micro-voitures... Ils étaient tout prêts à me confier l' exclusivité de leurs modèles pour le brabant wallon.
Nous en étions à ce stade de la conversion quand l'éclat de feux oranges tournoyant nous fit regarder à l'extérieur, par la fenêtre du bureau:
-Ah, voilà Jean-Marc!, dis-je.
Cédric, Antoine et moi sortons ensembles.
-Bel engin, me fait remarquer Antoine, en connaisseur.
Il n'a pas tort. Je l'ai repeinte en vert et blanc, ma dépanneuse. Sur les flancs du plateau de dépannage figure, en grosses lettres:
« Ateliers de Pierre. », suivi de mon numéro de téléphone.
J'en suis assez fier, c'est vrai!
Jean-Marc, en nous apercevant, fait mugir les trois trompes chromées du klaxon, placées sur le toit de la cabine, devant la rampe de feux oranges. Il exécute une brillante marche arrière et vient se positionner exactement à l' arrière ma pauvre 5.
D'une souple détente, il saute de la cabine. La télécommande à la main, il fait descendre le plateau du camion, va défaire le frein à main de ma voiture et l'arrime solidement au câble du treuil automatique.
Il ne lui a pas fallu cinq minutes pour l'embarquer.
-Hé bien, dis-je en souriant, m'approchant de lui, tu m'avais caché que tu étais aussi dépanneur...
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-Je ne t'ai rien caché du tout, fait-il. Tu ne me l'as jamais demandé... nuance!
-C'est que je n'ai pas toujours été carrossier sous-payé chez Delcampe, moi!, continue-t' il, hilare.
-Sous-payé,... sous-payé... 't' en foutrai, moi, du sous-payé!, que je lui rétorque sur un ton faussement fâché.
-Tu entends cela, Antoine? Et tes ouvriers? Ils se plaignent tout le temps aussi, comme celui-là?, fais-je faussement sérieux, désignant Jean-Marc du pouce.
-M'en parle pas, fait-il, sur le même ton. Patron? C'est une lutte permanente!
-Bon, ben... C'est pas l'tout! On doit y aller, lançai-je, en riant, à Cédric et à mon nouvel ami Antoine. Sinon, mon sous-payé de carrossier, ici présent, le connaissant comme je le connais, va encore faire des remarques désobligeantes sur les-patrons-qui-trainent-en route...
Nous nous mettons en route juste après que j'ai noté les coordonnées de Cédric, en promettant de le rappeler prochainement.
J'ai laissé le volant à Jean-Marc; il a l'air de tellement aimer cela...
Chemin faisant, il me confie qu'il a été dépanneur pour le compte de X, durant cinq ans, que cela lui rappelle sa jeunesse de conduire ma dépanneuse, que...
Je ne l'écoute plus vraiment... Le ronronnement du moteur m'a plongé dans une bienveillante torpeur. Je songe à ce pauvre Antoine... Il abandonne un métier qui est à la fois sa passion et son seul hobby.
Cela doit être une décision très difficile à prendre, me dis-je.
Je pense aussi à Cédric... Quelle chance que de l'avoir retrouvé... Mon seul véritable ami...
Et puis, je ne pense plus à rien: Je dors comme un nouveau né!
La vibration caractéristique que fait un camion lorsque son moteur s'arrête, me tire du sommeil.
-Nous sommes arrivés, me confirme Jean-Marc. Bien dormi?
-Comme un loir! Que vas-tu faire, maintenant? Tu rentres chez toi? Tu sais , je comprendrai: il est dix-sept heure vingt! Théoriquement, tu as « fini journée » depuis vingt minutes.
-Tu rigoles, me fait Jean-Marc. Et ma portière? Je tiens à terminer la voiture Lambert demain matin, moi!
Eh oui! Il est comme cela le Jean-Marc, comme tout mon personnel, d'ailleurs: Toujours prêts, comme les scouts!
Il faut dire que je suis loin d'être un patron tyrannique: je ne ferai jamais de remarques si ou l'autre de mes ouvriers -je préfère les appeler « mes collaborateurs »- arrivent, occasionnellement, dix minutes en retard..., cela peut arriver à tous le monde! ...Tant que le travail est effectué à heure et à temps! Et si l'un ou l'autre doit effectuer une réparation sur son propre véhicule, le garage et tout son équipement est toujours à disposition!
J'ai peut-être tort, mais c'est ma méthode de direction de personnel...
Jusqu'ici, je n'ai jamais eu à m'en plaindre!
A suivre
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