Posté le : 15/01/2008 14H18
CODE PÉNAL ET NUDITÉ
Au regard du code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994, la nudité entre dans le champ de l’article 222-32 visant la répression de l’« exhibition sexuelle ». Bien qu’inspirée de l’ancien article 330 relatif à l’outrage public à la pudeur, cette disposition est plus restrictive que l’ancien délit, en ce sens que l’acte d’exhibition sexuelle doit, d’une part, avoir été commis « dans un lieu accessible aux regards du public », d’autre part, « imposé à la vue d’autrui ».
S’il est vrai que le législateur de 1994 a eu pour but de prévenir une atteinte à la pudeur, au nom d’un instinct moral qui interdit de montrer certaines parties du corps, en raison de ce qu’elles se rattachent à l’acte sexuel (Limoges, 13 juin 1975 : D 1976. Somm. 17), non seulement il n’a pas défini cette notion, mais les actes poursuivis du chef de l’exhibition sexuelle recouvrent des réalités très différentes.
Certes leur point commun est qu’elles concernent nécessairement des actes ou des gestes susceptibles d’offenser la pudeur d’autrui, mais ces derniers consistent soit en une exhibition des parties sexuelles ou d’attitudes déplacées, soit en la simple « exhibition » de la nudité du corps humain.
Seul cet aspect sera retenu ici, sachant que la simple nudité ne s’analyse pas en « exhibition » au sens d’acte impudique ostentatoire, mais plutôt en l’exposition intégrale du corps, l’individu choisissant de ne pas cacher certaines parties de son anatomie, au nom d’un idéal personnel ou collectif : dans le premier cas, on est en face d’une attitude active, dans l’autre d’une attitude passive.
Les tribunaux considèrent que le spectacle de la nudité du corps humain, fréquent à notre époque pour des raisons de sport, d’hygiène ou d’esthétique, n’a en soi rien qui puisse outrager une pudeur normale, à condition qu’il ne s’accompagne pas de l’exhibition des parties sexuelles (cf. par exemple, Douai, 28 septembre 1989 : D 1991. Somm.65, obs. Azibert), sauf dans le cas où la nudité est pratiquée dans des lieux spécialement destinés en vue du naturisme (cf. Réponse ministérielle : JO du 30 juin 2003, page 5244). Ainsi, la seule exhibition de la nudité dans une ambiance strictement naturiste (telle l’île du Levant) ne doit pas donner lieu à poursuites (T. corr. Toulon, 4 décembre 1952 : D. 1953.2.101, note Carias ; JCP 1953.II.7451, note Combaldieu). En revanche, se rend coupable d’atteinte à la pudeur le nudiste qui traverse une rue, s’exposant ainsi à la rencontre, même non prévisible, de touristes et de promeneurs (Aix-en-Provence, 10 décembre 1953 : D 1954.113 ; S 1954.2.80 ; JCP 1954.II.7943).
La nudité n’est pas punissable quand elle est pratiquée dans un lieu privé, car la publicité constitue un élément essentiel du délit. Cela signifie que l’outrage à la pudeur, qui existe indépendamment de toute volonté d’affronter la publicité, n’est puni qu’autant qu’il est commis dans un lieu public ou que, commis dans un lieu privé, il a pu être aperçu du public.
Par lieu public, on entend tout lieu public par nature, c’est-à-dire accessible de manière permanente et absolue (rue, plage, parc), ou par destination, c’est-à-dire où le public est admis à pénétrer ou séjourner librement (par exemple, un sauna accessible à toute personne acquittant un droit d’entrée. TGI Paris, 5 décembre 1978 : JCP 1979.II.19138, note Brière de l’Isle).
Si un chemin public détermine la publicité de l’acte (Crim. 1er décembre 1848 : S 1849.1.543), un champ de maïs le long d’une route n’est pas un lieu public ou accessible au regard du public, n’étant pas un lieu de passage ou de promenade dans lequel de nombreuses personnes sont susceptibles de se trouver (T. corr. Marmande, 3 mai 1984 : Gaz. Pal. 1984.2. Somm. 431).
La circulaire du 14 mai 1993 précise que « pour être répréhensible, l’exhibition [doit être] réalisée dans un lieu accessible aux regards du public et dans lequel une personne non consentante est susceptible de l’apercevoir (ce qui n’est pas le cas dans un lieu où se trouvent des naturistes) » Pour certains, cette dernière observation signifierait que la présence de naturistes suffirait à rendre un lieu implicitement naturiste où l’infraction n’est pas constituée. Cette interprétation extensive du texte est abusive. La seule présence de naturistes dans un lieu public ouvert à des non naturistes est insuffisante pour écarter l’incrimination. Il ne peut s’agir que de lieux clos aménagés en vue de la pratique du naturisme.
En précisant que l’acte doit être imposé, l’article 222-32 détermine le caractère intentionnel de l’infraction et sanctionne ainsi l’individu qui s’exhibe en sachant qu’il le fait dans un lieu public. En revanche, le délit est réalisé indépendamment de toute volonté d’affronter la publicité, par le seul motif que l’agent n’a pas fait ce qui était nécessaire pour l’éviter (Crim. 28 avril 1881 : DP 1881.1.447).
Il a été jugé depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal que le délit d’exhibition ne pouvait être retenu pour des ébats dans une automobile fermée et garée dans un parc de stationnement, à l’abri des regards, sauf à venir regarder l’intérieur du véhicule (Paris, 3 décembre 1994 : Dr Pénal 1995.89, obs. Véron ; Ibid. 1998.Chr. 11, obs Lesclous et Marsat). À l’inverse, constitue le délit d’outrage à la pudeur le fait de se livrer à des actes obscènes dans une voiture ou la cabine d’un camion, dans des conditions telles que des personnes pouvaient fortuitement les apercevoir (Crim. 18 juillet 1930 : Bull. crim. n° 205 ; 19 avril 1939 : Bull. crim. n°89 ; Gaz. Pal. 1939.1.855 ; T. corr. Poitiers, 24 juillet 1958 : JCP 1958.II.10855, note de Lestang. V. encore Crim. 1er juillet 1970 : Bull. crim. n° 220).
 Bien que ces affaires concernent toutes des actes obscènes commis dans des véhicules à l’arrêt, la question se pose au regard de la conduite nue pratiquée par de nombreux naturistes. L’habitacle du véhicule est par définition un lieu privé, mais pourrait-on reprocher à ce conducteur qu’il n’a pas pris en compte la présence de témoins involontaires, notamment lorsqu’il est ponctuellement à l’arrêt, encore que la position assise soustraie normalement ses parties sexuelles au regard du passant « non curieux » ? Aucune réponse à cette question n’est garantie !
En effet, commet l’infraction le prévenu nu pendant plusieurs heures dans sa voiture stationnant sur la voie publique le long d’une rivière, car « il n’est (…) allégué aucun changement de vêtement qui aurait pu justifier temporairement sa nudité » (Grenoble, 27 août 1997).
 La même observation est valable en ce qui concerne les naturistes qui ont l’habitude d’être nus soit dans leur logement, soit dans leur jardin.
En application du principe selon lequel l’outrage à la pudeur devient public lorsque, accompli dans un lieu privé, il a pu être involontairement aperçu par des tiers, faute de précautions suffisantes de la part de l’intéressé (cf. Grenoble, 7 juillet 2000 : JCP 2001.IV.1469), l’incrimination sera écartée lorsque le plaignant aura dû monter sur une échelle ou utiliser des jumelles pour « constater l’infraction ».
Néanmoins, toute personne qui persisterait à se mettre nu dans son jardin, malgré les requêtes répétées des voisins, serait passible des poursuites pénales prévues (Crim. 26 mai 1999).
 La pratique de la « randonnue » se place en principe sous le coup de l’article 222-32, dès lors qu’elle se déroule dans des lieux accessibles au public : il s’agit souvent de forêts ou de circuits isolés mais que peuvent fréquenter des promeneurs, des cyclistes, d’autres randonneurs, voire des chasseurs, susceptibles de croiser fortuitement le chemin des personnes circulant, seules ou en groupe, à l’état de nudité.
Pour réduire les risques de poursuite, il convient de réunir un maximum de précautions pour prévenir de telles rencontres qui peuvent être préjudiciables : emprunter de préférence des chemins écartés, éviter les heures ou les périodes d’affluence, etc., tous éléments susceptibles d’étayer une argumentation si elle se révélait nécessaire auprès des forces de l’ordre.
APM