Posté le : 18/01/2021 13H56
L'histoire commence là. Je reprends l'histoire que j'avais mise sur mon blog.
Avertissement :
Ceci est une fiction. Les personnes citées ainsi que leurs vies et mœurs sont imaginaires. Les systèmes monétaires, de mesure ainsi que les volumes sont imaginés par l’auteur, ils sont inspirés des systèmes en vigueur à l’époque. Néanmoins l’histoire est basée sur une vérité : Durandalem est le nom au huitième siècle du village de Dourd’hal, en Moselle.
Vendredi 28 février.
Le village de Durandalem.
Je suis Robert. Robert le Schmit. Le forgeron. Je me lève. Il fait encore nuit. Dans les braises de l'âtre, je pose quelques bûches, retire un bout de bois en flamme et allume ma lampe à huile. Une lueur blafarde éclaire la pièce derrière l'atelier. Estelle, ma Dame, dort encore, ainsi qu'Alyson, notre fille adolescente de quatorze ans, et notre fils de dix ans, Benjamin. Je quitte mes habits de nuit, humides malgré les peaux recouvrant la couche, je me réchauffe, nu devant la chaleur du feu. Je grignote un quignon de pain et un bout de fromage, avec une rasade du vin de Child Germain, l’aubergiste. Tout est calme au dehors, les crépitements des braises réactivées résonnent dans la chambre. Une fois qu'elles seront séchées à la chaleur de l'âtre, je pourrai enfiler mes braies de travail. Le jour se lève. Il fait encore froid en cette fin de février.
Je suis Robert, forgeron et maréchal-ferrant. J'habite un petit hameau, Durandalem, au fond d'une vallée de l’Austrasie entourée de collines qui hélas, désespoir du forgeron, ne recèlent pas de fer. Du plomb au sud, du cuivre au nord. Le fer, ainsi que le charbon, proviennent des provinces du nord de l'Austrasie.
Ce matin, je dois allumer ma grande forge, située sous la cascade, au bout du bourg, vers les collines. La journée est chargée ! Hier, on m'a livré du minerai provenant des confins du royaume, par une ordonnance émanant de l'abbaye des Glandières. Je dois en extraire le fer. La grande forge de Robert est spéciale ! Pour fondre le minerai, j'ai trouvé un système ingénieux de ventilation forcée. L'énergie provient de la roue à aube, dans la cascade.
Nous sommes bientôt au printemps. La saison froide tire à sa fin, les neiges fondent, et la cascade débite bien plus d'eau qu'il n'en faut à la roue. "Que peut-on faire de toute cette énergie ? «, m’interrogé-je parfois, imaginant des machines fantastiques... tout en chargeant mon foyer de bois et de charbon. J'ai mis au point un système d'alimentation en eau pour le village. Chaque maison possède une arrivée d'eau : il suffit de soulever le panneau à l'extrémité du tuyau pour qu'elle s'écoule, depuis une réserve constituée d'une immense barrique. Cette barrique est située sur la colline. Elle se remplit d'eau avec des seaux mus par la force de la roue à aube. Le tuyau court à travers tout le village avec des ramifications à chaque maison. Tous les villageois reconnaissent que c'est bien pratique d'avoir de l'eau à volonté dans sa maison ! Pour Michel Wald, le bûcheron, j’ai inventé une scie qui, grâce à un mécanisme mu par l'énergie de la roue à aube, débite automatiquement des planches, de rondins de bois, planches dont tout le monde fait grand usage !
Michel Wald, maître charpentier, bâtit des maisons, des granges, construit des meubles fonctionnels, des armoires et autres cagibis de stockage, finement décorés des sculptures de ses filles Marianne et Mariette, des jumelles blondes de vingt ans. Il est maître charpentier, et donc pas une des demeures du village ne s'est construite sans lui.
La forge commence à bien chauffer. De chauffe en chauffe, le fer contenu dans le minerai finit par fondre et coule directement dans de grands rectangles de terre cuite, qui formeront la base de lames d'épées. Au bout de la matinée, j'ai fini. Il y a cinq moules pleins. Je peux donc forger cinq épées ! Je peux rentrer chez moi. Estelle a préparé le déjeuner, et je dois allumer la petite forge au village pour l'après-midi. Des chevaux ont besoin d'être ferrés.
Le don du ciel.
Soudain, en chemin vers le village, un grondement venant de l'ouest derrière moi me fait me retourner ! Une boule de feu arrive du ciel et s'écrase dans un vacarme assourdissant, labourant la prairie à quelques coudées de ma grande forge !
Il s'en est fallu de peu !
Je retourne prestement vers le lieu de l'impact, je suis rejoint par les habitants du village, intrigués et effrayés par cette boule de feu tombée du ciel ! En touchant le sol, la boule, un caillou de trois pieds de diamètre, a creusé un sillon d'au moins cent cinquante pas dans la prairie. Un nuage de vapeur monte au contact de la terre encore froide et enneigée. La chaleur a fait fondre la neige dans un rayon de dix pas.
On entend comme un sifflement.
D'abord de couleur rouge, elle refroidit et vire rapidement au noir, et le sifflement diminue en fréquence, s'atténue, jusqu'à disparaître.
Je m'en approche. Le curé du village, l'abbé Paul Angst, me conjure de rester à l'écart, ceci ne pouvant être que l'œuvre du Démon ! Pour l'abbé Paul, tout ce que lui ne peut expliquer sur-le-champ est l'œuvre du Démon... Malgré son avertissement, je vais chercher des outils, et avec d'infinies précautions, j'essaie de tâter la boule. J'ai du mal à approcher la pique, non seulement à cause de la chaleur que la boule dégage, mais ma pique en fer a tendance à être repoussée par la boule. À l'aide d'une lance en bois, je peux la toucher. Elle est molle, comme du fer très chaud.
Oh ! Mais que voilà un beau minerai tombé du ciel, cadeau des Cieux ! Ce qui est loin de l'avis de l'abbé Paul, voyant plutôt là les portes de l'enfer s'ouvrir ! D'un pas décidé, l'abbé s'en retourne vers sa chapelle, et sonne le tocsin ! Pourtant, personne n'est mort... Mais l'abbé est aussi pleutre que curé. D'un commun accord, nous nous donnons rendez-vous ici même après le déjeuner, déjà retardé par l'évènement. Il faudra rouler la boule jusqu'à la grande forge quand elle sera refroidie.
L'après-midi, la boule a durci, suffisamment refroidie pour être roulée, à grand renfort de bâtons, jusqu'à la grande forge. Je remarque que son poids parait léger au vu de sa taille. L'abbé Paul n'a pas réapparu. Terrorisé, il s'est enfermé dans la chapelle, prie tous les saints de lui venir en aide ! Un phénomène étrange : les petits éclats et copeaux de fer jonchant le sol sont repoussés par le passage de la boule. Qu'est-ce donc que ce prodige ? De la diablerie ? L'abbé aurait-il raison ? Ce serait bien la première fois ! Je m'en occuperai demain, si Dieu me prête vie. Pour l'heure, je dois ferrer Bella, la jument du Fernand le Bauer, le paysan. Dillon d’Ortega, un des commis du Fernand, me mènera la jument à la forge. Et il faut aussi que je continue le travail sur un rouage pour P'tit Louis Muller, le meunier et boulanger.
Émile Pferd, l'éleveur de chevaux, vient passer commande de chevaux à ferrer. Il a un client important qui viendra sous peu acheter quelques mâles et une jument. Il est installé à l'orée du bois, sur la route de Naborum, et doit construire, avec Michel Wald, des charrettes pour son client. Bien sûr, il compte sur moi pour cercler les roues de ses charrettes ! Tout en œuvrant, je pense à cette boule. Mais de quoi est-elle faite ?
D'où vient-elle ?
Est-ce un cadeau de Dieu ?
Ou est-ce un châtiment ?
Dans un cas comme dans l'autre, est-ce pour moi, Robert ? Sûrement, vu qu'elle est tombée juste à côté de la grande forge.
Childéric.
Le crépuscule est là, il est temps d'aller chez Child écluser quelques chopines et relater l'évènement. Child, de son vrai patronyme Childéric Germain, est notre "blanc qui vend tout " ! Childéric est un ancien négociant, archer réputé dans l'armée de Pépin. Il parcourait le monde pour trouver toutes sortes de choses. Un jour, il y a déjà des années, il est arrivé avec Pépin en route pour Mettis, s'est amouraché de Berthe, la sœur au Fernand, qui lui a donné une fille, Manon. Et il est resté à Durandalem, s'installant dans le village, ouvrant une échoppe de toutes sortes de produits, et installant une auberge qui est vite devenu l'agora du village.
Son érudition et ses nombreux savoirs l'ont fait élire assistant du bourgmestre Jacou Artz.
Son échoppe recèle des trésors, des denrées et épices d'Orient, des vins des coteaux d'Aix, des cervoises de Belgique, des tissus de Cachemire, des soies de Lugdunum, des étoffes venues des plus lointaines contrées d'Orient, des onguents et pommades de tout l'Empire romain d'occident et d'orient, des bijoux et ornements provenant des conquêtes de l'Armée du roi, et moult alcools venus des provinces de l'est. Sans oublier la production locale, fournie par Clovis Hune, l'éleveur de volailles, Alvin Koch le boucher pour les viandes et par le Fernand Bauer pour les légumes et autres fruits. Et le schnaps distillé par le même Fernand !
Toute une partie de l'échoppe renferme des armes, une passion de Child. La petite hachette côtoie un trébuchet, des arcs et autres arbalètes sont accompagnés de flèches. Il y en a de toutes sortes : des flèches à pointe en triangle, classiques, en harpon, provoquant des blessures inguérissables, des flèches terminées par une boule, pour assommer sans tuer, des flèches à bout en croissant, qui tranchent net tous les membres qu'elles touchent, des flèches -sifflets pour terroriser l'ennemi, des flèches rotatives, transperçant toute matière, y compris les cotes de mailles et les armures, des flèches incendiaires, s'allumant au moindre contact... Les arcs aussi sont de factures variées ! Certains peuvent tirer cinq ou six flèches en même temps. D'autres, plus petits, à double courbure, ont une portée bien plus grande que les arcs classiques. Des arbalètes à répétition avec un magasin de vingt flèches sont capables d'envoyer deux flèches par seconde, des engins sur trépieds tirent des lances les unes derrière les autres avec une force inouïe sur une lieue de distance. À côté trône tout un étal de lames, de la petite dague " d’évêque " dissimulée dans une manche d'habit, même sacerdotal, à la grosse épée lourde de cinq pieds de long et douze livres de poids, du cimeterre sarrasin au sabre des confins de l'Orient. Toute une gamme d'épées est présentée ici, y compris la production locale, que je fabrique régulièrement.
Des vêtements de protection allant de la cote de maille à l'armure la plus lourde, en passant par les gants, épaulières coudières et autres heaumes, casques et plastrons censés garantir la vie sauve en cas d'attaque au corps à corps, côtoient des habits plus luxueux qui sont plus de parade que de défense. Tout ce que le génie humain a pu inventer pour faire la guerre et tuer... Child fait souvent appel au forgeron pour construire des nouveaux modèles sortis de son imagination, et je participe avidement à ses créations. Les pièces de bois sont confectionnées par Michel Wald, le bûcheron. L'échoppe de Child est réputée au-delà des collines, et nombre de guerriers viennent à Durandalem se pourvoir en armement.
Bien sûr, on trouve aussi les pains de P'tit Louis Muller et les gâteaux et autres délicatesses de la Berthe Muller, la dame au P'tit Louis. À côté de l'échoppe, la taverne, ou plutôt l'auberge, est le lieu de rencontre de Durandalem. Pour les voyageurs, Child a toujours quelques paillasses et un bon dîner à proposer. Sa muse, Berthe Germain, assistée de sa fille Manon, est un vrai cordon bleu, maîtrisant l'art culinaire comme personne.
L'auberge de Child.
Child Germain est derrière son comptoir, à servir des roquilles de la dernière production du Fernand : une quetsche de l'automne dernier, bien macérée, et distillée récemment.
Le Fernand Bauer est là, avec son fils François, et ses deux commis, Dillon d’Ortega, et Le Borgne.
Michel Wald aussi est là, accompagné de ses filles, Marianne et Mariette, des jumelles de 20 ans, dont la joie permanente égaye l'assemblée.
Le boucher, Alvin Koch, son épouse Elvire et ses jumeaux Judith et Roger arrivent pour boire un verre.
L'abbé Paul Angst entre dans l'auberge, une grande croix portée à bout de bras, espérant grâce à Dieu pouvoir museler ce démon qui nous est apparu ! Quelques paroissiens le suivent, Claude Stein, qui travaille comme cantonnier avec son frère Pierrot, son épouse Marie, et leur fille Diane, de dix ans, ainsi que Germaine et Gertrude Beten, deux sœurs vielles filles bigotes qui s’occupent de la chapelle. Il a réussi à semer le doute sur cet objet venu du ciel. Tout le monde demande à l'abbé d'arrêter d'appeler le Seigneur à haute voix, Dieu n'est pas sourd !
Claude Kaas, l’apothicaire est venu seul, sa femme Rosine est restée avec leur fils Maxime de cinq ans à la boutique. P'tit Louis arrive, avec son épouse Berthe, son grand fils Isabeau, dix-neuf ans, sa fille Jeanne, quinze ans, et son petit dernier, Grégoire, dix ans, sur ses talons. Il apporte des tartes flambées aux oignons et lardons, qu'il fait à chaque nouvelle flambée pour son four à pain. Elles sont le régal habituel de la fin d'après-midi. Il est suivi de Clovis, sa femme Clothilde, et leurs deux fils Gérôme, de onze ans et Fabien, de neuf ans, avec ses paniers d'œufs, et quelques volailles fraichement plumées, pour Child. Il y a aussi Pierrot, le cantonnier, avec son épouse Gisèle, et leurs enfants Agathe, onze ans et Félix, huit ans. Pierrot est le petit frère de Joseph, qui est handicapé, blessé dans un éboulement dans sa carrière qui a tué sa femme et éborgné son fils de 16 ans maintenant, qu’on appelle dorénavant le Borgne. Joseph est impotent et a perdu la raison. Il est gardé par Pierrot dans sa maison. Georges Hair, le barbier vient avec son épouse, line, et sa fille Aline de dix-huit ans. Le coutelier Denis Perin et sa femme Béatrice se joignent à nous. Nous en sommes à trinquer, à parler de cette boule qui se trouve dans ma grande forge, et qui est tour à tour magique, bizarre, démoniaque, fantastique, mauvais présage, divine, dangereuse, " c'est un avertissement divin !" Mais le summum c'est quand je dis : « Demain je vais la faire fondre ! » Un tollé général ! « Tu es fou ! Inconscient ! Hérésie ! Blasphème ! Tu vas tous nous tuer ! » crie l'abbé au bord de la crise de nerfs.
La discussion s'enflamme, attisée par la quetsche, quand arrivent deux cavaliers. La nuit est tombée, mais la pleine lune dévoile les deux silhouettes.
L'un des deux est Jean Christian, l'abbé des Glandières, de l'abbaye de Saint-Martin du même nom, dans la vallée à côté, sur la route de Mettis. L'autre, richement vêtu, semble être un personnage important.
« Nous avons vu le signe du ciel ! », annonce d'entrée l'abbé Jean, « et entendu le tocsin ! » Jetant un regard noir sur notre curé. « Monseigneur Denis Le Bon, évêque de Mettis, ici présent, est mandaté par Charles, fils de Pépin, pour faire confectionner une épée par chaque forgeron du royaume, pour participer à l'effort de guerre contre les Vascons qui menacent le pays. Il était avec moi ce matin à l'abbaye des Glandières quand nous avons vu le signe dans le ciel. Pouvez-vous nous en dire plus ? » Aussitôt le curé prend la parole et essaie de convaincre et l'abbé Jean et monseigneur Denis du bien-fondé de son inquiétude. Monseigneur Denis Le Bon, évêque de Mettis, qui connait l'abbé Paul et sa légendaire panique à chaque évènement hors de la norme le fait taire d'un geste de la main.
Un éclair et c'est le Diable qui crie ! Une rafale de vent et c'est Belzébuth qui souffle ! Quand Child est arrivé au village, c'était le diable en personne et quand il a séduit et engrossé Berthe Bauer, la sœur au Fernand Bauer, c'était la fin du village, qui serait maudit et détruit par le mal ! Et la discussion repart de plus belle, chacun ayant une précision ou un détail à apporter. Child calme le jeu en offrant une tournée, un repas à ces hôtes de marque, et leur propose un appartement qu'il met à la disposition des voyageurs de marque, que Manon va préparer pour eux. Monseigneur Denis, érudit, après ma description et un moment de réflexion, nous explique que ce n'est pas une coïncidence. « Non ! Hurle l'abbé Paul, c'est le diable ! » Congédiant l'abbé Paul, le renvoyant prier pour le salut de son âme tourmentée, Monseigneur Denis continua son explication. Sa venue pour me mander une épée et ce minerai tombé du ciel, à côté de ma forge, ne peuvent que signifier une chose ! Il en tire son interprétation de cet évènement céleste et nous la révèle : "Robert, tu dois faire de ce caillou une épée ! Pour Charles ! C'est la volonté de Dieu !" Les plus craintifs dans l’assistance, échaudés par les délires de notre curé, se font à plusieurs reprises, bénir par Monseigneur Denis demandant à Dieu de les épargner lors de cet acte qui relève surement de la sorcellerie ! Jacou Artz, notre érudit, qui remplit aussi la tâche de bourgmestre du village, nous explique que ce n'est somme toute qu'un phénomène astral, notre Terre recevant de ci de là tous les jours des corps tombés du ciel. Et ceci, bien que rarement perçu dans nos contrées, est déjà arrivé, relaté par les écrits des moines disséminés sur le continent.